Essais en l’honneur de Ranajit Guha
Édité par David Arnold et David Hardiman
Oxford University Press, Delhi 1994
- Partha Chatterjee Réappropriation du passé : esquisse d’une généalogie de l’historiographie moderne au Bengale
- Dispesh Chakrabarty La différence et l’ajournement d’une modernité coloniale : débats publiques sur la vie de famille dans le Bengale Britannique
- David Hardiman Pouvoir dans la forêt : le Dang 1820-1940
- David Arnold La prison coloniale. Pouvoir, savoir et pénologie dans l’Inde du 19ème
- Gyanendra Pandey La prose de l’altérité
4ème de couverture :
Ce numéro VIII consiste en essais en l’honneur de Ranajit Guha, le père fondateur des Subaltern Studies, par cinq membres du groupe éditorial originel. Ces essais se saisissent de thèmes provenant du propre travail de Guha, liant l’expérience et la mentalité subalterne avec le pouvoir/savoir colonial et les procédés culturels et politiques des élites indiennes.
Ce volume s’ouvre avec l’examen par Partha Chatterjee de l’écriture de l’histoire au Bengale et de comment le concept d’histoire nationale des hindous fut construit au 19ème siècle dans une interaction ambivalente avec le savoir colonial. Dispesh Chakrabarty traite de la « modernité » telle que représentée dans les écrits bhadralok bengalis sur la vie de famille et l’idéal de la femme au foyer.
David Hardiman étudie comment, au travers de types changeants de domination et de subordination, une ancienne classe dominante, les Bhils d’Inde Occidentale, est devenue une communauté subalterne. David Arnold étudie la prison coloniale dans l’Inde du 19ème et donne une lecture critique du Surveiller et Punir de Michel Foucault. Dans un écho supplémentaire à l’oeuvre de Ranajit Guha, Gyanendra Pandey examine les représentations historiques de la partition de 1947.
Ce volume contient une bibliographie complète des œuvres publiées par Ranajit Guha et une notice sur son œuvre et sa carrière par Shahid Amin.
Partha Chatterjee Réappropriation du passé : esquisse d’une généalogie de l’historiographie moderne au Bengale
Cet article a été traduit dans L’historiographie Indienne en débat sous la direction de Mamadou Diouf. Éditions Khartala-Sephis (Ouvrage toujours disponible).
Dispesh Chakrabarty La différence et l’ajournement d’une modernité coloniale : débats publiques sur la vie de famille dans le Bengale Britannique
« Le débat sur la vie de famille que j’étudie ici, a eu lieu dans le cadre de ce que j’appellerai « les récits publics portant sur la nature de la vie sociale au sein de la famille ». Je souligne le mot « public » car les documents sur lesquels je base mon essai sont à la fois des produits et des éléments constitutifs d’une culture imprimée moderne et d’une sphère publique – dans le sens européen voire habermassien du terme- qui émergea au Bengale (et ailleurs en Inde) comme résultat de notre rencontre avec une nation impériale européenne après le siècle des Lumières. Les textes traités ici sont prescriptifs, beaucoup d’entre eux, écrits par des auteurs bengalis, hommes ou femmes, cherchant à adapter ce sujet éminemment victorien, « la science domestique » aux programmes nationalistes d’éducation des femmes. Ce que ces documents capturent, ce sont des fragments de la perception de soi bengalie dans le contexte de la formation d’une vie publique moderne, car ces écrits étaient sans aucun doute soumis à un ensemble croissants de conventions portant sur les formes et sujets désirables d’expression en public. Cela comportait, comme ailleurs, le développement de règles pour représenter, au sein de cet espace public, des aspects de la vie considérés comme constituant son opposé – le privé, le personnel, le domestique. La modernité bengalie a donc produit sa propre part d’artefacts qui raconte le « privé » en « publique », par exemple, les romans, les journaux, les lettres, etc. » (p53)
« Les impérialistes européens n’auraient pas été en mesure ni de légitimer leur domination coloniale, en utilisant l’idée de progrès, ni de vendre cette idée aux colonisés, si leurs propres représentations du progrès avaient été rongées par le doute. Les certitudes qui constituent le theatre colonial ne sont pas évaporées avec la fin de l’impérialisme formel. La contrainte (et la tentation comme l’a dit une fois Heidegger) de penser et de traduire le monde au travers des catégories de la modernité impériale européenne, est réelle et profondément enracinée dans les pratiques institutionnelles, à la fois dans et en dehors de l’université. On ne peut pas simplement échapper à ce problème, ou ne pas souffrir, par un pure acte de la volonté, de la « violence épistémique » qui a été la pendant nécessaire de la création de la nation et de l’empire depuis deux siècles et demi. » (p85)
David Hardiman Pouvoir dans la forêt : le Dang 1820-1940
« La domination coloniale dans le Dang a mené au développement de deux mentalités subalternes largement différentes. L’une, celle des Bhils, s’enracinait dans la mémoire de leur ancienne suprématie. L’autre, celle des Konkanas, regardait vers le futur, tel qu’il était décrit par le programme Gandhien. Ces deux visions radicalement différentes ont aidé à diviser plutôt qu’à unir ces peuples contre leurs oppresseurs. Dans la période d’après l’indépendance, les Konkanas tendaient à s’adresser aux leaders Gandhiens et aux politiciens élus pour améliorer leur sort, tandis que les Bhils ont souvent refusé d’accepter le système politique, appelant au contraire à la création d’un État adivasi indépendant du gouvernement de New Delhi. Contrairement aux Bhils de nombreuses autres zones, ils n’ont pas rejoint les sectes réformistes qui leur inculquaient un mode de vie plus hindouiste. Ils n’ont quasiment pas fait de compromis. Une telle résilience culturelle a été par certains aspects une force, générant une conscience de soi et d’appartenance qui leur permettait d’affronter les difficultés de la vie quotidienne. Mais cela a été aussi un lourd poids à porter et cela leur a empêché de participer au système politique d’une façon qui leur aurait permis d’améliorer dans une certaine mesure leur sort.
C’est seulement ces dernières années, alors que les deux approches n’obtenaient ni l’une ni l’autre de résultats, que cette polarité a commencé à se fissurer d’une façon significative. Il y a désormais une forte agitation pour permettre aux gens de se réinstaller dans des villages qu’ils avaient été forcés d’abandonner par les britanniques au temps du tracé des délimitations de la forêt. Dans ce mouvement les Bhils et les Konkanas se sont unis contre une sévère répression policière. Ils ont notamment puisé du courage dans la mémoire de la résistance passée dans le Dang. Bien que cette résistance ait été en fait largement celle des Bhils, le mémoire en a été appropriée par tous- qu’ils soient Bhils, Konkana, Varli ou Gamit. De cette manière se forge une nouvelle conscience, celle des adivasi du Dang dans leur ensemble, qui partagent désormais une histoire de résistance commune au monde extérieur. Une tradition qui semblait n’avoir plus qu’un intérêt historique, a donc été imprégnée d’une vie nouvelle. » (p146-147)
David Arnold La prison coloniale. Pouvoir, savoir et pénologie dans l’Inde du 19ème
Texte traduit dans l’anthologie publiée par nos soins
Gyanendra Pandey La prose de l’altérité
Cet article a été traduit dans L’historiographie Indienne en débat sous la direction de Mamadou Diouf. Éditions Khartala-Sephis (Ouvrage toujours disponible).