En guise de préambule : Edward Palmer Thompson et l’Inde
Edward P. Thompson, la figure de proue du courant dit de « l’histoire par le bas », entretenait un rapport particulier avec l’Inde puisque son père, Edward J. Thompson, un ancien missionnaire méthodiste, y avait vécu plus d’une dizaine d’années et avait consacré une partie de sa vie au soutien à la cause nationaliste libérale indienne. Il avait notamment écrit un récit sans concession de la répression britannique de 1857, The Other Side of the Medal, traduit des poètes bengalis, fréquenté Rabindranath Tagore et était même devenu un ami proche de Nehru. Dans un long article lui rendant hommage (« Edward Thompson and India : The Other Side of the Medal » repris dans Writing Social History), Sumit Sarkar, si il souligne certaines illusions de Thompson père quant à une réforme de l’empire britannique ainsi que ses réflexes paternalistes, n’en conclut pas moins que la sincérité de son engagement et sa volonté de franchir les barrières culturelles érigées par le colonialisme, sont de ces initiatives qui ont facilité une transition pacifique lors de l’indépendance.
On trouve dans un autre article, « Byron, Gandhi and the Thompsons: the Making of British Social History and Unmaking of Indian History » de Priya Satia, une analyse détaillée et provocatrice de cette influence paternelle et « indianisante » sur la suite du parcours de l’historien : « Le nationalisme indien était dans l’ADN de la nouvelle gauche. Thompson luttait pour libérer la classe ouvrière britannique comme Gandhi et ses collègues avaient libéré les indiens. Son père lui avait enjoint de réaliser sa vie tout autant que celle de Frank (grand frère de E.P. Thompson, communiste, fusillé en 1944 alors qu’il combattait dans la guérilla bulgare anti-nazie) ; c’était en un sens la geste byronienne du jeune Thompson sur le sol natal, où il était revenu, comme Gandhi, après un long séjour au loin. Mais le propre travail de Thompson, comme celui de Raymond Williams et Richard Hoggarth était aussi déterminé par la décolonisation- en cela le mouvement nationaliste indien a aussi indirectement influencé l’histoire sociale britannique. Ces travaux cherchaient à redécouvrir l’Angleterre sans évoquer l’empire, quoique ces auteurs aient été d’anciens soldats. Ils participaient à une nouvelle réflexion sur l’identité nationale britannique à l’époque de la décolonisation, la redéfinissant dans les termes des valeurs communautaires de la classe ouvrière. Thompson, comme Orwell, se tournait vers la classe ouvrière pour chercher la rédemption et pour échapper à l’empire. »
Si il a évoqué plus spécifiquement l’Inde dans certains écrits (dans une conférence intitulée « Folklore, Anthropology and Social History » et une préface à la correspondance de son père avec Rabindranath Tagore notamment), l’influence des travaux de E.P. Thompson sur le sous-continent doit beaucoup à l’émergence de tout un nouveau courant d’étude de l’Inde coloniale pour qui « ce n’était pas l’historiographie américaine ou britannique dominante, ni même les écrits portant plus spécifiquement sur des thèmes sud-asiatiques, mais un journal comme Past and Present, le « débat sur la transition » et les travaux d’historiens comme Christopher Hill, Eric Hobsbawm et Edward P.Thompson – souvent marginalisés par l’establishment académique en Occident- qui apparaissaient comme les plus stimulants pour les chercheurs explorant de nouvelles voies d’analyse de l’histoire. » ( Sumit Sarkar « The many worlds of Indian History » repris dans Writing Social History1, voir aussi sa passionnante interview « Subalternité et Histoire globale » parue en 2011 dans la revue Actuel Marx et notamment ses commentaires sur la notion Thompsonienne « d’expérience »).
R. Chandavarkar dans « The making of the Working Class. E.P. Thompson and Indian History » note aussi que certaines thèses de Thompson, présentes de façon éparses dans son œuvre et synthétisées dans son article « Eighteenth-Century English Society: Class Struggle without Class? » (1978), notamment la primauté de « l’expérience » (« La classe et la conscience de classe sont toujours les dernières et non les premières étapes du processus historique réel. ») permettaient de « desserrer le lien entre la classe et une certaine étape de développement capitaliste. Et, en d’autres termes, une implication importante de l’argumentation de Thompson était que la lutte de classe et l’expérience culturelle et historique qu’elle supposait pouvaient être étudiées plus spécifiquement dans des sociétés où le capitalisme s’était montré plus faible et hétérogène.» Point de vue qu’étaient loin de partager certains auteurs subalternistes, comme nous allons le voir…
Les subalternistes
au-delà de l’histoire par le bas ?
Quoiqu’entre le courant de « l’histoire par le bas » et les Subaltern Studies les ressemblances (une certaine marginalité, au départ, dans le champ universitaire, un rapport relativement hétérodoxe au marxisme) et les préoccupations communes soient évidentes, on trouve peu de références d’un projet à l’autre dans leurs écrits respectifs. Si ils reprennent, et développent dans le contexte indien des concepts des auteurs britanniques (l’économie morale, le rôle de la coutume, l’invention de la tradition, l’ « agency », etc..), les subalternistes cherchent néanmoins aussi à s’en distinguer.
Ainsi, dans son introduction à Elementary Aspects of Peasant Insurgency in Colonial India, livre unanimement considéré comme une continuation particulièrement originale des travaux de « l’histoire par le bas »2, Guha critique la notion de « rébellion pré-politique des paysans » développée par Eric Hobsbawm dans ses ouvrages sur les rebelles primitifs. Après avoir souligné certaines incohérences dans les formulations d’Hobsbawm, notamment dans Captain Swing, il affirme : « Quelle que soit sa validité pour d’autres pays, la notion d’insurrection paysanne pré-politique n’est que de peu de secours pour comprendre l’expérience de l’Inde coloniale. Car il n’y avait rien dans les mouvements militants des masses rurales qui ne fut politique. Il en aurait difficilement pu en être autrement dans les conditions dans lesquelles ils travaillaient, vivaient et concevaient le monde.(…) L’élément qui était constant dans ce rapport, et ce dans toutes ses variantes, c’était l’extorsion du surplus au paysan par des moyens, moins déterminés par les forces de l’économie de marché que par les forces extra-économiques de la position du seigneur terrien dans la société locale et l’organisation politique coloniale. En d’autres termes, c’était un rapport de domination et de subordination – une relation politique de type féodal, ou, comme cela a été plus justement décrit, semi-féodale, qui tirait sa subsistance matérielle de conditions pré-capitalistes de production et sa légitimité d’une culture traditionnelle toujours primordiale dans la superstructure. » Si Thompson prétendait « sauver de l’immense condescendance de la postérité » l’expérience ouvrière, Guha quant à lui cherchait, dans Elementary Aspects, à rompre avec la condescendance habituelle des marxistes vis à vis des révoltes paysannes, dont témoignait notamment le notion de rébellion « pré -politique ». Quoiqu’ils aient ouvert de très nombreuses brèches dans l’orthodoxie, les historiens de la nouvelle gauche anglaise n’en restaient en effet pas moins souvent prisonniers de certains vieux schémas, ce qu’illustrent d’ailleurs souvent leurs carrières « militantes ».
Ainsi, Dispesh Chakrabarty dans la conclusion de Rethinking Working-Class History, cite un passage célèbre de La formation de la classe ouvrière anglaise où Thompson avance notamment que ce processus de formation « relève tout autant de l’histoire politique et culturelle que de l’histoire économique. Elle n’est pas née par génération spontanée à partir du système de la fabrique.[…] La classe ouvrière se créa elle-même tout autant qu’on la créa. » et que « l’anglais né libre » et le « principe d’égalité devant la loi » font notamment parti du « patrimoine » préalable de la classe. Or, remarque Chakrabarty, « Considérons le problème plus large qui ressort de sa façon de poser la question de la culture : si les notions particulières d’ « anglais né libre », d’ « égalité devant la loi », etc représentaient les héritages les plus cruciaux de la classe ouvrière anglaise, déterminant sa capacité ultérieure à développer une conscience de classe, qu’en est-il alors des classes ouvrières -l’indienne par exemple- dont l’héritage ne comprend pas de bagage libéral ? Sont-elles condamnées pour toujours à un « esprit de classe » faible, à moins qu’elles ne développent une forme de ressemblance culturelle avec les anglais ? » (p222)3
Le même Chakrabarty va plus loin dans la distinction d’avec le courant de « l’histoire par le bas » dans un article ultérieur, « Subaltern Studies and Post-colonial Historiography ». Il précise tout d’abord : « Sans vouloir exagérer les vertus des chercheurs des Subaltern Studies ou nier ce qu’ils peuvent effectivement avoir appris des historiens marxistes britanniques, je voudrais montrer que cette lecture des Subaltern Studies – comme un exemple d’historiens du Tiers monde rattrapant ou appliquant simplement les découvertes méthodologiques de l’histoire sociale anglo-saxonne- se trompe sérieusement sur ce qu’est la série. Depuis leur tout début, les Subaltern Studies ont soulevé des questions sur la façon d’écrire l’histoire qui rendent inévitable une prise de distance radicale avec l’historiographie anglo-saxonne . »
Il précise plus loin : « L’historiographie subalterne suppose nécessairement a) une séparation relative de l’histoire du pouvoir de toute histoire universaliste du capital b) une critique de la forme nation c) un questionnement du rapport entre pouvoir et savoir ( et donc de l’archive elle même et de l’Histoire comme forme de savoir). Dans ces différences résident selon moi les fondations d’une nouvelle façon de théoriser le programme intellectuel de l’histoire post-coloniale. »
La distinction s’opère notamment sur la méthode, comme il le souligne en s’appuyant sur les travaux de Guha : « Les archives disponibles sur les insurrections paysannes sont produites par les mesures de contre-insurrection des classes dominantes, de leurs armées et de leurs forces de police. De ce fait, Guha souligne la nécessité pour l’historien de développer une stratégie consciente pour lire les archives, conscience non simplement du biais des élites mais aussi des propriétés textuelles de ces documents, afin d’en venir aux différentes façons par lesquelles les modes de pensée de l’élite représentaient la figure réfractaire des subalternes et de leurs pratiques. Sans un tel dispositif de lecture, avançait Guha, les historiens reproduisaient la même logique de représentation que celle que les élites utilisaient pour dominer les subalternes. La métaphore interventionniste de la lecture résonne comme l’opposée de la métaphore passive de l’écoute, utilisée par E.P.Thompson dans sa polémique avec Althusser pour décrire l’activité herméneutique de l’historien. Cette accent mis sur la lecture rend aussi l’historiographie subalterne ouverte aux influences de la théorie littéraire et du récit. »
Si il vaut toujours mieux se méfier des nombreuses théorisations et plaidoyers post-festum fournis par Chakrabarty et Chatterjee, il est évident que les textes les plus innovants méthodologiquement de la revue (par exemple les articles de Guha et Amin reproduits dans notre anthologie) se rapprochent ainsi parfois plus du travail et à la méthode « micro-historique » de Carlo Ginzburg que des historiens de l’université de Warwick.
L’au-delà de « l’histoire par le bas » qu’est donc sensé représenter le travail des Subaltern Studies va principalement s’articuler autour du concept de fragment ( Cf l’article de Pandey « En défense du fragment » et le livre de Chatterjee La nation et ses fragments : voir la chronologie bibliographique). Comme le rappelle Gyanendra Pandey dans son article « Voices from the Edge: The Struggle to Write Subaltern Histories » paru en 1995 : « Les voix de la marge (« voices from the edge ») et les formulations fragmentaires ont été l’objet de débats animés depuis un certain temps déjà dans les cercles d’historiens universitaires. Il y a eu de nombreux débats contradictoires sur le statut de telles « broutilles » (comme certains les ont caractérisé) et de leur usage pour l’écriture de l’Histoire : c’est à dire leur validité comme preuve, perspective ou représentation. Ces discussions ont ajouté une nouvelle dimension aux débats initiés il y a longtemps déjà par les efforts des historiens radicaux en vue d’écrire une « histoire par le bas » et des membres de l’école des Annales pour aller vers une « Histoire totale ». Aux questions « l’histoire de quel point de vue ? » et sur les laissés pour compte de l’histoire, se sont ajoutées celles sur le statut du récit historique lui-même, et sur comment on pourrait essayer de faire le récit d’histoires alternatives. »
Là encore c’est une lecture « alternative » des archives qui est mise en avant : « Les récits conservés par l’État dans les archives et autres institutions publiques – c’est à dire les récits qui sont le plus communément utilisés par les historiens- proviennent dans leur très grande majorité des classes dominantes et doivent leur existence à la préoccupation de ces classes dominantes pour leur sécurité. Pourtant, logés au sein des dossiers qu’on trouve dans ces institutions, il y a des fragments ( traces) de beaucoup de récits perdus ( et souvent irrécupérables), extraits par des administrateurs ou des observateurs prédateurs (…) : la déposition d’un sujet mutique lors d’un procès ; les rumeurs entendues dans le bazar; les slogans criés par les rebelles ou les émeutiers; (…) des témoignages non seulement du pouvoir britannique et de son appropriation des trésors des différentes couches de l’histoire mais aussi d’autres présences et d’autres passés. » La nature fragmentaire, discontinue de cette nouvelle histoire tenant aussi aux situations rencontrées par les personnes étudiées : « Les victimes de la partition, les africains-américains, les esclaves, les intouchables et les femmes comme les autres groupes ou classes subordonnés, ont vécu dans de telles circonstances à travers plusieurs scripts et plusieurs récits – « deux âmes dans un même corps noir » (Web. E. Du Bois). La certitude du savoir, la clarté de l’histoire et la consistance de la vérité idéologique sont des luxes trop couteux dans certaines situations. »
Si une certaine emphase littéraire cache souvent mal le flou ,voire le vide, de certains concepts, le tournant « fragmentaire »4 des Subaltern Studies est aussi dû à l’émergence et l’influence des « nouvelles histoires » féministes, dont on sait qu’elles furent très critiques de la cécité de Thompson sur ces questions ( cf sa laborieuse défense à ce sujet dans Les usages de la coutume). C’est d’ailleurs le point de départ de Guha dans un autre article programmatique « La petite voix de l’histoire » paru dans le neuvième numéro de la revue, qui critiquait notamment le récit par Puchalapalli Sundarayya de l’insurrection du Telengana dont il avait été le leader : “L’écriture de l’histoire dans le récit de Sundaryya se conforme complétement au patriarcat. Les principes de selection et d’évaluation communs à toute historiographie sont en accord ici avec une perspective étatiste préfabriquée dans laquelle une vision hiérarchisée des contradictions soutient une vision hiérarchisée des rapports de genre sans aucune reconnaissance de l’agency des femmes dans le mouvement. Malgré sa bonne volonté vis a vis des femmes et les multiples louanges faites de leur courage, ingéniosité, etc.. ce type d’écrits reste “sourd” à ce que “les femmes disent”.
Mais supposons qu’il y ait une historiographie qui considérerait ce que les femmes ont à dire comme partie intégrante de son projet, quelle type d’histoire écrirait-elle ? (…) Une ré-écriture de l’histoire du mouvement du Telengana qui soit attentive aux “nuances de harcélement” et aux “notes de douleur” dans les voix des femmes, va tout d’abord, mettre en cause l’univocité du discours étatiste. Une des conséquences les plus immédiates du nouveau contexte créé sera de détruire les hiérarchisations qui privilégient un ensemble de contradictions comme dominant et central et regarde sa solution comme plus urgente que pour tous les autres.” Plus encore selon Guha, “je sens qu’une fois que les voix des femmes pourront être audibles, cela activera et rendra audible d’autres petites voix. Celles des adivasi- les populations aborigènes de la région- par exemple. Eux aussi ont été marginalisés et instrumentalisés dans le discours étatiste.” Un programme de recherche qui n’a rien perdu de sa validité, comme l’illustre par exemple la publication en 2017 du livre de Kavita Panjabi, Harvest: An Oral History of the Tebhaga Women’s Movement (voir la recension du livre par Ilina Sen parue tout récemment dans Economical and political Weekly).
Critiques et débats
On pourait noter que certaines critiques adressées au courant de « l’histoire par le bas » le furent également aux Subaltern Studies, ainsi le fait de « romantiser » le rebelle ou l’absence d’une véritable clé de voute théorique. De même, on pourrait dire que la recherche d’un « domaine autonome de la politique du peuple » par les subalternistes aboutit aux même apories que le rétablissement de « l’agency » plébeienne dans la défense de la coutume par les historiens britanniques, car dans les deux cas les luttes de classe ne sont jamais véritablement impliquées réciproquement avec le développement capitaliste ou proto-capitaliste ( à l’exception, si l’on veut, pour les subalternistes de Guha dans Elementary Aspects mais d’une manière très métaphorique ou de David Arnold, avec peu de résultats tangibles au final, sur la prison ou la peste) et ne semblent au bout du compte que mirer leurs propres limites. Bref, on pourrait, d’une certaine manière, dire qu’il est regrettable que Tronti n’ait pas été aussi lu que Foucault, Barthes ou Derrida …
Nous reproduisons ici des extraits de quatre critiques des Subaltern Studies, faisant écho, plus ou moins directement, aux enjeux de « l’histoire par le bas » et provenant de quatres « sources » différentes : l’école de Cambridge ( Bayly), l’université indienne ( Perusek), l’anthropologie américaine (Ortner) et le marxisme ( Chandavarkar). On constatera que, selon les uns ou les autres, l’analyse subalterne de la rébellion en fait soit trop, soit trop peu….
C.A. Bayly, « Ralliement autour du Subalterne », The Journal of Peasant Studies, 1988
« Quoique le chic des années 70 suppose que les intellectuels indiens citent des gourous français et non anglo-saxons, il y a pourtant pas mal de l’influence de E.P Thompson ici, particulièrement dans l’impression que l’on a, que l’action paysanne et subalterne est validée moralement et salutaire en comparaison aux subterfuges et à l’égoisme des élites ( quoique l’on note que la préoccupation de Thompson pour la nature de l’État et les formes de propriété reçoivent bien moins d’attention). Ce n’est peut-être pas une coïncidence, si deux des auteurs subalternes étaient à moins de 15 km ( « 10 miles ») de l’église de l’université d’Oxford la nuit où Thompson a participé à un débat autour de sa fameuse jérémiade sur la pauvreté de la théorie dans la ville. ( Allusion à un débat resté fameux ndt) Car en effet c’est souvent non tellement la notion du subalterne comme acteur-sujet autonome qui transparaît mais la « communauté morale », que ce soit sous les atours de systèmes religieux populaires (Amin) ou sous la forme plus abstraite de la commune paysanne (Chatterjee). »
Darshan Perusek « La conscience et l’historiographie de la rébellion indienne de 1857 »in NOVEL: A Forum on Fiction, 1992
« Si ce genre d’ouverture de la recherche est en principe désirable et même nécessaire, ses résultats, comme le démontrent les travaux du groupe subalterne, restent, au mieux problématiques, au pire, fastidieusement néo-archéologiques ( « neo-antiquarian ») et remarquablement banals. Ces problèmes découlent des contradictions et confusions inhérentes au concept même de subalternité comme catégorie socio-politique. Le premier problème provient de l’hypothèse concernant un « terrain autonome » de la conscience et de l’activité politique subalternes. L’autonomie n’est pas totale : comme Guha le note, ce domaine coexiste avec celui des groupes de l’élite et en porte, en conséquence, les marques. Mais il y a, insiste-t-il « des vastes aires de la vie et de la conscience du peuple qui (dans l’Inde coloniale) n’étaient jamais intégrées dans l’hégémonie des groupes de l’élite. » ( « Historiographie de l’Inde Coloniale » S.S I). Vraisemblablement pas, mais de sauter de cette observation à la conclusion qu’il existe un phénomène comme la « mentalité sublaterne » est bien, par contre, un nouveau type d’élitisme, basé sur une théorie anthropologique discréditée et intenable. De plus, il n’y a pas que les groupes subalternes qui soient « piégés » dans la vieille culture des croyances et coutumes religieuses comme le suggère notre historien subalterne : les classes dominantes elles-aussi invoquent les coutumes et les traditions pour legitimer et donner une base morale et religieuse à leur pouvoir. La question est donc de savoir pourquoi les pauvres avec leurs supersititions et leur religiosité échouent et sont réprimés, tandis que les élites dominantes continuent à dominer et gouverner. Ce n’est certainement pas à cause de la « mentalité subalterne » des pauvres, puisqu’ils la partagent avec l’élite. Serait-il trop audacieux de suggérer que le succès de l’élite a quelque chose à voir avec sa possession et son contrôle des moyens de coercition ? »
« Ce retrait de la lutte de classe fait de chaque acte de rebellion par les déshérités une preuve du premier aspect de la « mentalité » sublaterne : la révolte. Et il situe l’échec de cette entreprise dans un autre aspect de la même « mentalité » : l’impulsion contradictoire de l’obeissance à l’autorité. Ce qui semble n’avoir que peu ou pas du tout de place dans cette historiographie ce sont les institutions et structures de pouvoir et d’exploitation économique, qui dans leurs échanges bien réels et sanglants avec les masses insurgées ou passives, brise tout autant des os et des esprits. »
Sherry B. Ortner « La Resistance et le Probleme du refus ethnographique » in Comparative Studies in Society and History 1995
« La mesure dans laquelle le traitement de la religion dans ces études est effectivement culturel, c’est à dire consitue un effort réel pour éclairer les configurations conceptuelles et affectives dans lesquelles opèrent les paysans, est en général minimale. On attribue plutôt au paysan quelque chose qu’on appelle la « religiosité », une sorte de conscience diffuse qui n’est jamais étudiée comme un ensemble d’idées, de pratiques et de sentiments intégrées à l’univers religieux dans lequel évoluent les paysans. Guha, et d’autres dans le groupe, sont engagés dans une joute avec certains historiens marxistes indiens qui partage avec les théoriciens de la modernisation bourgeoise, une vision de la religion comme étant un symptôme d’arriération. Les auteurs des Subaltern Studies, au contraire, veulent respecter et valider la religiosité paysanne comme une dimension authentique de la culture subalterne, à partir de laquelle une politique d’opposition authentique a été et peut être construite. Pourtant, la notion de religosité chez Guha porte encore les taces de l’hostilité de Marx pour la religion, puisque Guha définit la conscience religieuse « comme une demonstration massive d’auto-aliénation » De surcroît, plutôt que d’explorer et d’interpréter cette religiosité des rebelles d’une quelconque manière, il opère une manœuvre textuelle pour éviter le problème, le reléguant aux extraits de l’annexe où les paysans donnent leur propre version des visions religieuses qui ont inspirées leur rebellion. »
R. Chandavarkar « The making of the working class . Ep Thompson and Indian history » 1997
repris dans Vinayak Chaturvedi « Mapping Subaltern Studies and the Postcolonial. »
« Beaucoup des influences, qui ont déterminé le developpement de l’historiographie indienne en général, ont nécéssairement laissé leurs marques sur les chercheurs subalternes. Mais il est crucial de noter que le point de départ du projet subalterne se trouvait initialement dans leur insistance sur « l’autonomie de l’insurrection paysanne ». Entre les années 30 et les années 60, c’était d’abord l’essor du radicalisme paysan, parfois dans des zones qui restaient précisément innatéignables par le parti, qui a apporté vie et énergie au communisme indien. Mais, au début des annèes 70, ces élans révolutionnaires semblent s’être essouflés ou être restés confinés à leurs localités. La gauche, et particulièrement la gauche révolutionnaire, devaient désormais affronter leur échec à nouer des liens effectifs avec la paysannerie et à la mobiliser. C’est peut être la reconnaissance, et la désillusion afférante, des limites de l’influence politique et intellectuelle de la gauche qui a nourri la perception de « l’autonomie » du champ populaire. Néanmoins cette insistance sur l’autonomie de l’insurrection paysanne peut être désormais vue comment ayant ouvert la voie à une réification des identités collectives dans le travail des historiens subalternes et les a souvent incliné à faire des interprétations essentialistes de la culture et de la conscience populaire.»
« L’affirmation de la différence, avec sa recherche concomitante de la vraie voix des dépossédés ( et, non moins, de leur vrai réprésentant au sein du monde académique) a souvent mené à la réification des groupes subalternes et à leur représentation en termes essentialistes. Comme les chercheurs subalternes cherchaient à affirmer et revendiquer la différence, ils ont eu tendance à ré-affirmer des thèses sur la spécificité culturelle, le caractère exceptionnel et unique de la société indienne. Ce qui les mené en conséquence a réhabiliter les plus beaux principes des idéologues coloniaux- par exemple ceux sur la propension à la violence des classes ouvrières, leur sensibilité à la rumeur, sur le paternalisme du capital expatrié et la déférence filial de ses employés ou la centralité de la religion pour leur conscience politique. Cette reproduction du discours colonial, qui provient du culturalisme des historiens, s’est produite de façon la plus explicite quand les chercheurs, à la recherche du fragment, ont négligé de prêter suffisamment attention à son contexte social et politique. »
A propos de « l’école de Cambridge »
La clé de voute du projet subalterne, comme le rappellera Ranajit Guha dans plusieurs préfaces de la revue, c’est le rejet des « historiographies élitistes ». Ce terme n’est pourtant jamais véritablement « élucidé », alors qu’il vise un vaste spectre de chercheurs, tant nationalistes que marxistes et tant britanniques qu’indiens. Néanmoins, on s’accorde à dire que le courant qui était certainement le plus spécifiquement visé par l’expression était celui dit de « l’École de Cambridge » incarné notamment par les travaux de John Gallagher, Anil Seal, David Washbrook et Christopher Alan Baily.
Comme le rappelle Sanjay Subrahmanyam dans un article, par ailleurs très instructif sur certains déterminants des carrières académiques post-coloniales, « One for the Money, Two for the Show. On Postcolonial Studies and South Asian History »5, cette « école » est pourtant « un objet notoirement fuyant. Il ne faut pas la confondre avec au moins deux autres écoles de Cambridge : celle associée avec Quentin Skinner et à l’analyse et l’histoire des idées politiques ; et celle associée avec Joan Robinson et qui est une forme d’économie politique de gauche. La fondation de l’école de Cambridge qui se rapporte à l’Inde, est associée, selon les sources, à des figures comme John Gallagher et Eric Stokes, et aurait continuée avec Anil Seal et de nombreux autres tels que Gordon Johnson, Brian R. Tomlinson et Christopher Baker qui publiaient des articles et d’acerbes recensions dans la revue Modern Asian Studies, crée au milieu des années 60. L’ « École » n’a jamais souhaité s’identifier clairement en tant que telle. Elle était bien plutôt identifiée ainsi par ses premières cibles qui étaient aussi ses premiers opposants, c’est à dire les historiens nationalistes indiens qui avaient écrit dans les années 50 et 60 sur le mouvement national indien. Le but des historiens de Cambridge était de démythifier le nationalisme indien, ramenant les figures héroïques mythiques du mouvement nationaliste à leur dimensions réelles et soulignant l’étendue de la collaboration des élites « indigènes » à la gestion de l’empire britannique en Inde. »
L’acte fondateur de ce courant fut la publication par John Gallagher et Ronald Robinson d’un article « The Imperialism of Free Trade » qui est une réinterprétation de l’histoire de l’impérialisme au 19 ème siècle, à partir du jeu réciproque entre ce que les auteurs dénomment « l’empire formel et l’empire informel », l’un et l’autre « étant des fonctions politiques variables » du développement du commerce et des investissements anglais et correspondent à différents degrés d’une domination politique rendue, elle même, plus ou moins nécessaire selon les conditions locales.
A partir de cette première hypothèse, de nombreux travaux se sont donc développés pour illustrer comment la collaboration ou la résistance indigènes ont déterminé le niveau de pénétration des européens dans les sociétés non-occidentales et la forme qu’a pris le contrôle colonial mais aussi, ultérieurement, les mouvements anti-coloniaux. Christopher A. Baily dans deux de ses livres, Rulers, Townsmen and Bazaars: North Indian Society in the Age of British Expansion, 1780-1870 et Indian Society and the making of British Empire illustre très bien cette démarche. Ainsi, dans Indian Society il décrit comment « le XVIIIème siècle ne vit pas tant le déclin de l’élite Moghole que sa transformation et l’ascension de groupes sociaux autrefois subordonnés au pouvoir politique. » Il associe cette ascension à ce qu’il nomme la « commercialisation » de l’Inde : « La commercialisation signifiait beaucoup plus que lent développement de l’usage de l’argent dans l’économie. Elle signifiait l’usage de valeurs monétaires objectives pour exprimer des relations sociales.(…) Les loyers, les maisons, les droits de propriété des seigneurs étaient plus régulièrement échangés par des ventes ou des opérations de prêt. Les statuts et offices étaient loués ou sous loués. » Ce mouvement endogène étant bien évidemment amplifié par les échanges de plus en plus réguliers avec les marchands anglais. Et finalement « Ce furent beaucoup des groupes et régions, qui avaient été les plus prospères au XVIIème qui se révoltèrent contre, ou se soustrairèrent, à la tutelle moghole au XVIIIème. Les mêmes régions et groupes – le Bengale, les communautés commerciales, la nouvelle gentry- fournirent en retour les fondations du régime colonial britannique. » Thèse également bien résumée (mais néanmoins critiquée) par Eric Stokes dans The Peasant and the Raj : « Dès avant la prise de contrôle coloniale, l’Inde possédait une économie sophistiquée et une société complexe et structurée qui pouvait aisément s’adapter à une activité commerciale accrue sous la domination coloniale sans connaître de changement interne fondamental. De ce fait, il n’y eut simplement au sein de l’élite que quelques ajustements latéraux et circulations internes. »
L’attention de auteurs de «l’école » s’est ensuite portée sur l’étude de la vie politique indienne sous la domination britannique, notamment des réseaux clientélistes et claniques locaux et des luttes d’influences de haut en bas de l’appareil colonial qui présentaient une image certes plus prosaïque des « combattants de la liberté ».
L’importance accordée au pluralisme politique et social de la société indigène va amener un auteur comme Anil Seal dans The Emergence of Indian Nationalism. Competition and Collaboration in the later Nineteenth Century à souligner d’une façon nouvelle le rôle des élites dans le mouvement de libération nationale : « Avec toutes ces rivalités locales et les différences flagrantes entre l’est, l’ouest et le sud du pays, il restait un niveau auquel les élites du Bengale, de Bombay et de Madras pouvaient travailler de concert- celui de toute l’Inde ( « All-india »). En procédant ainsi, leur principal but pouvait bien être de renforcer leurs positions au sein de leurs sociétés locales. Mais partageant une éducation commune, elles pouvaient aussi en être amenées à penser en termes nationaux du fait d’ambitions et de ressentiments partagés dans le cadre du Raj. Ces ambitions et ces ressentiments ne peuvent être compris qu’en considérant les opportunités qui leur étaient offertes sous la domination britannique et les restrictions à celles-ci qu’ils craignaient que les colonisateurs puissent poser. » (p113) Seal aboutit effectivement à une vision pour le moins « désenchantée » des origines du mouvement nationaliste : « L’arithmétique politique de l’Inde durant les années 1870 et 1880, quand le mouvement prenait forme, montre qu’il ne s’était pas formé au travers de l’exacerbation de revendications de classe ou comme conséquence d’un changement net dans les structures de l’économie. L’Inde n’avait été que peu développée, et les efforts en vue du développement avait produit une nouvelle inégalité dans les structures économiques et sociales du pays. Il y avait des rivalités internes intenses, mais elles se déroulaient entre caste et caste, communauté et communauté et non pas entre classe et classe. De surcroît, ces groupes qui ressentaient une communauté d’intérêt étaient plus le produit d’une initiative bureaucratique que du changement économique. Comme ces groupes peuvent largement être identifiés comme ceux des hommes éduqués à l’occidentale, et comme ce sont ces hommes dont les espoirs et les peurs donnèrent naissances aux nouvelles associations qui émergèrent telle le Congrès National indien, un système conceptuel basé sur les élites et non sur les classes serait plus prometteur pour la compréhension de l’époque. Toutefois les personnes éduquées avaient plusieurs rôles à jouer et plusieurs loyautés à préserver. Alors qu’ils rejoignaient des organisations laïques, ils restaient rivés par des allégeances de caste ou de communauté, et, ce qui de loin apparaissent comme des luttes politiques étaient souvent, si on regarde de près, le résultat d’efforts pour conserver ou améliorer leur position dans leur propre groupe. Puisque ces groupes étaient en général des castes, et comme les castes sont inconnues hors de l’Asie du Sud, c’était bien évidemment une élite d’un type particulier. » ( p341-342)
Bref, comme le constate Howard Spodek, dans sa recension de 10 livres sur l’Inde coloniale associés à ce courant : « La majorité du groupe de Cambridge a considéré les organisations nationalistes indiennes comme inspirées par les britanniques. La matrice était britannique ; le leadership parlait anglais et avait été formé par les anglais ; les enjeux étaient largement définis par les britanniques, les institutions politiques étaient leur création ; et même la fondation du Congrès lui-même était inspirée par les britanniques. » Spodek qualifie plus généralement, et assez justement, la vision qui se dégage des travaux des auteurs de Cambridge, d’étroitement « marxiste » ( au sens d’un primat de l’économique absolutisé), on peut toutefois aussi la lire à l’aune des nombreuses manipulations de l’histoire évoqués dans l’annexe qui suit…
Annexe : le contexte historiographique indien
La littérature académique en français concernant l’historiographie de l’Inde, et les manipulations dont elle a fait et fait l’objet, étant très riche, nous nous sommes permis de donner dans cet annexe quelques pistes bibliographiques, permettant de mieux saisir le contexte théorico-politique dans lequel s’inscrit la démarche subalterniste.
« Les enjeux communautaires du passé indien » de Deepa Nair
« Cependant, la transformation du mercantilisme prédateur de l’East India Company en système impérial entraîna un renforcement de l’appareil colonial, au demeurant justifié par le droit à la conquête et à l’occupation. L’histoire indienne était dès lors mobilisée pour servir ce projet. De l’History of British India (1812) de James Mill à l’Indian Empire (1881) de Hunter, les ouvrages sur le passé indien avaient beau être diversement nuancés, la ligne directrice restait la célébration des réalisations coloniales et la disqualification de la masse assujettie. Le passé indien a donc servi à légitimer le grand dessein de la politique impériale et l’affirmation de la supériorité de la civilisation occidentale, et à créer des dissensions au sein de la population indienne.
Dans
cette appropriation de l’histoire, les Indiens assument une présumée « anhistoricité » qui sert de justification ontologique à la démonstration. Mais cette sacralisation du passé colonial par les historiens britanniques encouragera aussi les colonisés à mobiliser l’histoire tant pour contester les interprétations coloniales que pour établir leur propre identité.
La substance du passé indien est diverse et a été utilisée différemment selon les protagonistes. Si Rabindranath Tagore idéalise à travers ses poèmes et écrits une société autonome et autosuffisante, Gandhi insiste sur les réalisations et sur l’éthique religieuse, alors que le nationaliste V. D. Savarkar met l’accent sur l’« Hindutva » (l’indianité déterminée par la naissance dans l’aire indienne, le lien racial et l’inscription dans une géographie du sacré) et sur le passé parfaitement
lisse d’une résistance à l’envahisseur. Nehru retrouvait dans le passé indien l’unité séculaire sur le plan politique et la synthèse des civilisations. »
« Les présupposés de l’archéologie coloniale » de Samuel Berthet, recension de Sudeshna Guha, Artefacts of History, Archaeology, historiography and Indian Pasts
« L’archéologie, en Inde, a toujours été intimement liée aux enjeux politiques de l’époque. Hier, elle servait à conforter la puissance coloniale britannique ; après l’indépendance, elle s’est souvent faite le relai de thèses nationalistes sur la stabilité millénaire de l’identité indienne. »
« Lorsque le djinn quitte sa bouteille: le système des castes ou la réappropriation d’une objectivation coloniale » David Fajolles
« Abstract : Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que les discours coloniaux (administratifs et savants) établissent une correspondance obligée entre société indienne et système des castes. Avant de revêtir les habits de l’évidence, cette synonymie s’est construite dans l’interaction entre une production savante (celle des philologues indologues puis celle des sciences sociales) et un savoir administratif et statistique, celui du Raj britannique et de ses recensements. Introduite dans le champ de la sociologie, la notion de «système des castes» y est devenue une entité autonome, dont la légitimité académique ne pouvait être remise en question. Retracer aujourd’hui l’histoire sociale de cette notion, ce n’est pas seulement réinscrire l’anthropologie des indianistes dans un vieux fonds de commerce colonial: c’est surtout décrire la construction d’une formation discursive qui en se réifiant. Se trouve à l’origine de bon nombres de pratiques sociales et politiques dans l’Inde contemporaine. »
« Rites et protocole du British Raj en Inde. La mise en scène de traditions inventées et importées » Max Jean Zins
« Résumé :C’est dans le perpétuel va-et-vient entre les réalités indiennes et britanniques que la politiqueprotocolaire du British Raj acquiert sa signification essentielle. En se coulant dans le moule des rites et du protocole de l’empire moghol, les Britanniques visaient à légitimer leur nouvelle domination sur l’Inde. Ils ont modifié le sens des rituels en usage en inventant sur place de nouvelles traditions protocolaires. Ces dernières seront à leur tour importées en Angleterre pour y répondre aux besoins domestiques de la monarchie britannique, puis de l’empire. Les Britanniques créent d’abord de toutes pièces, à partir de leur lecture de la réalité indienne et de leur propre expérience nationale, une«féodalité» indienne. Cet ordre féodal inventé sert ensuite à légitimer les nouvelles fonctions que la monarchie britannique acquiert en Angleterre dans le contexte de la seconde moitié du 19e siècle.
Certes, les honneurs dispensés aux princes contribuent au prestige de l’empire, mais ils dissimulent aussi aux Anglais la montée des nouvelles élites nationales indiennes. Au bout du compte, on peut se demander si les Anglais ne furent pas les vraies victimes de leur mise en scène protocolaire, si tant est que dans la relation inégale qui s’instaure entre l’autorité qui confère les honneurs et celle qui les reçoit, la première est sans doute celle qui a le plus besoin de croire à son propre jeu. »
« L’Inde coloniale : nationalisme et histoire » Claude Markovits
« Le but de Mill, disciple de Bentham qui devint plus tard un important fonctionnaire de l’East India Company, n’était pas d’écrire une histoire de l’Inde au sens classique, mais de faire une analyse philosophique et de déterminer la place de l’Inde sur « l’échelle de la civilisation », afin de réfuter les vues « orientalisantes », alors à la mode en Angleterre, et de préconiser un programme de réformes radicales fondées sur la philosophie utilitariste. Mill, qui n’avait jamais été en Inde et s’appuyait surtout sur les travaux d’auteurs de second ordre, porta sur la civilisation indienne un jugement d’une sévérité sans appel et la déclara inférieure aux grandes civilisations classiques, un jugement qui devait profondément marquer la pensée anglaise sur l’Inde. Il vit dans le despotisme la cause profonde de la barbarie indienne, mettant ainsi en place la grande machine idéologique du « despotisme oriental ». »
« Les Britanniques se servaient des oeuvres de Mill et de ses successeurs comme d’une machine de guerre contre le nationalisme naissant. Les auteurs nationalistes se mirent donc au travail et, sur la base de matériaux assez maigres, réussirent le tour de force de produire une version cohérente de l’histoire nationale. Mais, pour ce faire, ils furent forcés de recourir largement à l’usage de la méthode comparative et aboutirent à couler l’Inde dans le moule d’un modèle historique européen fondamentalement évolutionniste, qui ne rendait pas toujours bien compte de la spécificité des phénomènes sociaux indiens. Mettant à profit certains travaux européens dont ils accentuèrent le caractère idéalisateur, y ajoutant leurs propres découvertes qui devaient beaucoup à l’intuition, ils léguèrent aux générations suivantes des mythes durables : celui de la royauté constitutionnelle hindoue, et son corollaire, celui de la démocratie et de l’autarcie villageoises, ainsi que celui de l’unité politique ancienne de l’Inde. Ces mythes, intégrés par Gandhi à sa grandiose vision néo-hindoue d’un Ramraj, et véhiculés par le discours gandhien, devinrent partie intégrante de la culture politique des masses indiennes et contribuèrent puissamment à la mobilisation politique anti-anglaise, qui déboucha finalement sur l’indépendance. On ne peut cependant se contenter d’une vue fonctionnaliste du rôle de l’idéologie et négliger les effets pervers à long terme créés par la large acceptation de ces constructions idéologiques. Elles ont en effet tendu à occulter la véritable nature des rapports sociaux en Inde, en particulier des relations agraires, et la diversité de la société indienne. L’histoire nationaliste, dont les grandes lignes étaient tracées dès 1920, même si les historiens nationalistes de la période suivante ont affiné certains points, a certes aidé au rassemblement contre l’impérialisme (bien que la partition de l’Inde n’ait pu être évitée), mais, en ignorant les problèmes posés par la division religieuse et par la caste, elle n’a pas favorisé une claire conscience des difficultés auxquelles l’Inde d’aujourd’hui est confrontée dans sa tentative pour moderniser une société particulièrement résistante au changement. »
Voir du même auteur « Appropriation du passé et nationalisme hindou dans l’Inde contemporaine »
« La quête d’une tradition historique : l’Inde ancienne » de Romila Thapar
« La théorie des origines la plus influente dans l’interprétation de histoire de l’Inde ancienne était celle de la race aryenne. Elle posait pour principe l’invasion par un groupe racial identifié comme les Aryens et parlant une langue indo-européenne qui prit la forme de l’indo-aryen. L’argumentation s’appuyait sur la philologie comparative et les affinités entre les langues indo-européennes aussi bien que sur les similitudes relatives à la mythologie et aux institutions sociales. »
« Au début du 20e siècle beaucoup d’historiens indiens étaient sous l’influence de l’idéologie nationaliste dominante Cela tendait à centrer l’interprétation historique sur les préoccupations intellectuelles de l’Inde. Les historiens indiens nationalistes étaient enclins participer à cette reconstruction générale La théorie de la race aryenne par exemple était attirante parce on pensait qu’elle reliait l’Inde ancienne aux racines de la culture européenne. Elle avalisait également le statut spécial des castes supérieures. Bien que le concept de despotisme oriental ait été rejeté, la périodisation par Mill de histoire indienne ne fut pas contestée La période hindoue de trois mille ans fut décrite comme une époque de prospérité soutenue, thèse qui rendait effectivement compte de l’absence de changements historiques majeurs au cours de cette période. »
« Entre fantasmes, science et politique. L’entrée des Aryas en Inde » Gérard Fussman
« Bien qu’il y ait toujours eu des francs-tireurs hindous, parfois de très grand talent, pour dire que les Aryas sont beaucoup plus anciens que l’Occident ne le prétend, et même, de tous temps, Indiens, la toute-puissance britannique et, après l’indépendance, le prestige scientifique de l’Occident imposèrent dans l’enseignement, jusque dans les années 1990, la théorie de l’invasion aryenne. Les meilleurs des historiens indiens, en tout cas ceux que nous jugeons les meilleurs parce qu’ils travaillent comme nous (R. S. Sharma, Romila Thapar, Shereen Ratnagar,etc.), la défendent toujours. Ils sont désormais en position défensive parce que le nationalisme indien, à l’origine majoritairement séculariste, est devenu aujourd’hui majoritairement hindou. Pour la droite indienne aujourd’hui au pouvoir, les seuls vrais Indiens sont les hindous de naissance. Or, l’une des affirmations majeures de l’hindouisme depuis plus de deux millénaires, si l’on peut risquer cet anachronisme, est que les hautes castes indiennes sont autochtones,nées du sacrifice primordial ; que le sanskrit est la langue des dieux, non qu’il ait été créé par les dieux mais parce que, parfait et éternel, il est la langue qu’ils utilisent ; que le Veda est éternel et que les sages (rsi) auxquels sont attribués les hymnes du Rig-Veda ne les ont pas composés : ils les ont vus (drs´), nous dirions : ils en ont eu la perception intuitive. Tout ceci est évidemment incompatible avec la théorie de l’origine extra-indienne des Aryas et avec la vue traditionnelle qu’à l’urbanisme très avancé de la civilisation de l’Indus succéda une période de décadence urbaine due à l’arrivée des Indo-Aryens ou contemporaine de celle-ci. Ainsi se constitua une coalition de nationalistes indiens hindous, composée de religieux, de politiciens peu soucieux de scientificité, d’archéologues et de scientifiques (astronomes, etc.) ou prétendus tels (directeurs d’instituts de yoga) travaillant aux États-Unis et tirant un certain prestige de cette scientificité supposée. Bien que tout à fait ignorants de ce qui n’est pas publié en anglais et des méthodes de la linguistique historique, certains des livres de ces partisans de la thèse de l’origine indigène des Aryas et donc de l’origine indienne des Indoeuropéens sont bien informés. Il faut un peu de perspicacité pour voir à partir de quel point l’auteur bascule dans le fantastique ou le fantasmatique. »
« Teaching History in Schools : the Politics of Textbooks in India » Neeladri Bhattacharya
« Les nouveaux manuels scolaires ( des années 60 et 70) présentaient une vision radicalement différente. Ils racontaient l’histoire du passé pré-colonial comme une histoire de flux et de changements, de développement et de dynamisme : la technologie et l’économie, le marché et l’échange, l’agriculture et l’artisanat attestaient tous d’un processus linéaire de croissance. La domination coloniale par contre était une époque tragique de déclin et d’appauvrissement, de stagnation et de sous-développement, de désindustrialisation et d’involution agricole. Tout cela jettant les bases d’un mouvement national qui unifia le peuple et mobilisa les masses contre la domination et l’exploitation coloniales. L’histoire de l’Inde au XXème siècle était donc l’histoire du mouvement nationaliste, et de la marche vers l’indépendance. Ensuite, ces textes étant écrits après l’indépendance et la partition, ils étaient façonnés par le climat intellectuel de l’époque. Hantés par le souvenir des carnages intercommunautaires et l’expérience traumatique des années de partition – quand des milliers d’hindous et de musulmans s’entremassacrèrent- les intellectuels de cette Inde nouvelle cherchaient à créer une culture publique démocratique et séculière. Inspirés par les idéaux de la citoyenneté démocratique, ils révaient d’une société où les individus, émancipés de leurs liens religieux et affectifs, renaitraient en citoyens laïques d’un État démocratique. Les historiens se tournèrent vers le passé pour contrer les representations communalistes de l’histoire, mettre en cause les stéréotypes communautaires et écrire une histoire nationale laïque. Les manuels scolaires des années 60 incarnaient cet idéal nationaliste laïque. Les manuels provoquèrent des controverses dés qu’ils furent publiés. La droite hindoue en particulier était virulente dans ses attaques. Et dans les trois décennies suivantes, tandis qu’on continuait à imprimer les manuels, les controverses revenaient en permanence à la surface. »
« Les récits historiques de la droite hindoue sont construits autour de deux assertations paralléles mais contradictoires : la première, que les hindous sont de pure souche aryenne, la seconde, que les hindous sont les habitants originels de l’Inde. Ce n’est que grace à ce type d’assertations que les musulmans peuvent être présentés comme des étrangers venus imposer leur oppression sur l’Inde. Mais un tel argument ne peut tenir qu’en s’appuyant sur un certain nombre d’autres thèses. Si l’origine des hindous peut être remontée aux aryens, et si ils devaient être présentés comme les habitants originels, alors il n’est pas possible d’accepter la thèse selon laquelle les aryens venaient de l’extérieur, ou qu’ils étaient des éleveurs nomades ( « pastoralists ») ou encore qu’il existait des cultures locales florissantes en Inde avant la venue des aryens. (…) Les manuels scolaires contraient chacune de ces assertations et suggéraient que les aryens étaient des éleveurs nomades qui avaient migré en Inde, potentiellement depuis l’Asie Centrale, qu’il y avait des cultures sédentaires très devéloppées en Inde avant l’arrivée des aryens, et qu’on ne pouvait pas réduire les sources du dynamisme de l’Inde ancienne à l’ère aryenne. Chacune de ces affirmations provoquaient une forte réaction et depuis trois décennies on a assisté un déluge d’articles qui cherchent à remanier la chronologie du passé aryen et de la civilisation de la vallée de l’Indus. »
« The Colonial Roots Of Hindutva ‘Nationalism’ » Romila Thapar
« La forme prédominante de nationalisme, décrite comme anti-coloniale et laïque, a commencé à marquer de son empreinte l’écriture de l’histoire indienne au début du XXème siècle. C’était le nationalisme de la majorité de la population indienne. Mais en paralléle, et initialement de façon moins visible dans l’écriture de l’Histoire, deux nationalismes religieux émergeaient – hindou et musulman- qui étaient encouragés en cela par la version coloniale du passé indien. Ils n’étaient pas essentiellement anti-coloniaux, puisque leur ambition politique était l’établissement deux États séparés, fondés sur la religion. Ils étaient moins intéréssés par la recherche de paradigmes et d’explications alternatives de l’Histoire et cherchaient plus à utiliser l’Histoire telle que délivrée par l’enseignement colonial pour légitimer leur idéologie politique et la mobilisation qu’ils voulaient engager. Il y avait même une plus grande insistance sur le fait que l’identité religieuse avait toujours été l’identité fondatrice dans le passé et continuait de l’être dans le présent. Ils considéraient que les identités hindoues ou musulmanes définiraient le caractère des États-nations à l’époque contemporaine, tant bien même si cela signifait l’établissement de deux États séparés. La religion était pour eux plus importante que la démocratie ou les droits humains. Pour le nationalisme hindou, la religion auquelle il se référait était la religion des hautes castes, et c’était dans les faits la religion d’un groupe minoritaire parmi ceux se définissant comme hindous. Pour ces deux perspectives, le projet de l’histoire était directement de justifier le résultat de l’indépendance – la partition de l’Inde en deux États, l’un défendant l’Islam et l’autre englobant la lutte entre ceux défendant la démocratie laïque et ceux proposant un État hindou. Ces idées reprenaient la vision coloniale de l’histoire indienne. »
« L’héritage colonial, quand il n’est pas remis en question, persiste et le nationalisme religieux se l’approprie et en tire partie. Il domine la pensée de ceux qui se considèrent comme les défenseurs de tout ce qui est indien, terme par lequel ils entendent le plus souvent ce qui est hindou, ou les défenseurs de la religon contre les communautés minoritaires dont l’alterité est crainte. C’est une continuation explicite de la théorie des deux nations de James Mill, avec son insistance sur l’hostilité innée entre hindous et musulmans ainsi que la théorie de la victimisation des hindous par les dirigeants musulmans. »
Voir aussi de la même auteur (qui était la coordinatrice des nouveaux manuels scolaires indiens des années 60 et se trouve donc, depuis, en première ligne), les articles « Hindutva and History » , « In defence of history » et la longue interview donnée au magazine Caravan.
« L’ethnicisation de la tribu. Quelques éléments sur les réinventions tribales en Inde » Elsa Chavinier
« En Inde, la catégorisation du monde est passée par trois relais cognitifs correspondant à autant de moments distincts dans les jeux de pouvoir entre l’État et les tribus. Moment colonial, d’abord, où l’invention de la tribu permet aux Britanniques la mise en scène de leur rôle civilisateur. Moment de l’indépendance, ensuite, où les « tribus répertoriées » (Scheduled Tribes ,ou ST) prennent le relais dans une optique toujours différentialiste. Moment postcolonial, enfin, où, par le bas, les adivasi (« aborigènes »), catégorie autre, s’incarnent en discours. Inventions, recompositions : le double mouvement place le chercheur dans une position troublante. Alors même qu’il déconstruit les catégories coloniales, les politisations les plus contemporaines se chargent de lui rappeler l’efficacité de mobilisations identitaires fondées sur l’inversion de l’ordre des temps : la construction des essences en quoi consiste toute fiction identitaire. »
« The public life of history: an argument out of India » Dipesh Chakrabarty
« Les défenseurs de l’historiographie séculière ne mettent plus en avant aujourd’hui l’unité civilisationnelle de l’Inde, puisque ce genre de nationalisme culturel, quelle que soit sa noblesse, n’a aucun attrait politique dans le pays, mais, par contre, leurs cadres de réflexions sont souvent basés sur des présuposés concernant une unité sociologique ( et non civilisationnelle) de l’Inde, censée précéder les conflits produits par les mémoires concurrentes dans la vie publique. Romila Thapar est dans ce cas un bon exemple. Dans une allocution donnée l’université Jadavpur de Calcutta au milieu des années 90, elle avait marqué son désaccord avec les historiens, et parmi eux de nombreux membres importants des Subaltern Studies, qui privilégiaient l’idée du fragment dans leurs débats sur l’histoire de l’Inde. Elle avançait au contraire la nécessité d’une vue « holiste » de l’Inde, car, selon elle, même ceux qui étaient mutuellement opposés et parmi les plus enclins à la confrontation des groupes en Inde, constituaient, dans leur unité, une seule et même chose, et c’était l’existence préalable de ce « tout » (« whole ») qui était négligé dans les discussions sur les fragments. Avec ou sans fragments, cette imagination de la nation comme consituant une forme de « tout » semble intennable aujourd’hui. L’hypothèse selon laquelle il y a une totalité indienne qui éclipse toujours les conflits et la diversité ne semble pas du tout évident de nos jours, à part ce que les médias ou Bollywood peuvent produire à partir du cricket ou de la guerre intermitante avec le Pakistan. L’unité ressentie autour du sport ou de la guerre n’est pas nécessairement fausse, mais il serait irréaliste de penser ces moments comme révélateurs d’une profonde vérité transhistorique sur l’aptitude de l’Inde à l’unité politique ou sociale. Par exemple, beaucoup des intellectuels et politiciens des basses castes en Inde, le bloc politique qui se fait appeler dalitbahujan samaj ( Société des oppressés et de la majorité) préfèrent ecrire une histoire qui a des connexions profondes avec la politique de l’identité et ne souscrivent pas à l’idéologie d’un « tout national ». »
« Ce sont clairement des élaborations dans lesquelles des passés inventés sont mélangés avec de l’histoire, du mythe, de la légende, de la religion, etc. pour produire des ingrédients qui nourissent la machinérie éléctorale et la politique de caste en Inde. Ces mélanges témoignent de la demande croissante d’un passé qui pourraient donner de la fierté à des groupes qui ont souffert de marginalisation depuis longtemps. Mais du même coup, ils représentent des histoires qui sont complétement et délibéremment dominées par un point de vue particulier. (…) Ces récits du passé des groupes de basse caste représentent des récits de combat. Elles rappellent aux gens la domination passée et visent à inciter à la fois les frères et les ennemis à l’action politique. Ils font donc partie des guerres sociales ayant cours en Inde, guerres qui s’enlisent dans les batailles électorales. »
1 Sarkar indique dans cet article avoir effectué une recension des premières tentatives d’écriture « d’histoire par le bas » en Inde dans une allocution, Popular movements and Middle class leadership in Colonial India, dont n’avons pas pu retrouver la trace
2 Ainsi un autre grand historien des mouvements populaires, James C. Scott, ecrit-il dans son avant-propos : « Guha a lu et assimilé les travaux européens sur « l’histoire par le bas » ; on espère que par un changement rafraichissant, les historiens et chercheurs en science sociale européens vont en retour, profiter des richesses intellectuelles que Guha a à leur offrir. »
3 On trouve également une critique, à la suite de Paul Gilroy, du caractère malgré tout très « anglo-centré » de « l’histoire par le bas », dans l’article deVictoria Heftler « The Future of the Subaltern Past : Toward a Cosmopolitan ‘History from Below’ » où elle note : « une histoire sociale qui voulait remettre en cause une histoire politique qui était nationaliste par définition, sélectionnait souvent elle même ses sujets, posait ses questions et construisait sa narration sur une base nationale (…) Les analyses marxistes comprenaient les modes de production matériels et de domination politique comme étant exclusivement des entités nationales. »
4 Sur la “méthode” subalterniste, voir aussi le trés intéressant article de Merin Simi Raj “Revisiting Nationalist Historiography through the Narrativization of Past Events: Reading Shahid Amin’s Reconstruction of Chauri Chaura”, qui porte plus spécifiquement sur le travail de Shahid Amin sur les évenements de Chauri Chaura et leur postérité.
5 Une version différente existe en français