Écrits sur l’Histoire et la Société d’Asie du Sud
sous la direction de Ranajit Guha (Oxford University Press, Delhi 1987)
- David Hardiman Les bhîls et les shahukars de l’est du Gujarat
- David Arnold Toucher le corps : perspectives sur la peste Indienne 1896-1900
- Gayatri Chakravorty Spivak Une représentation littéraire du subalterne : le « Stanadayini » de Mahasweta Devi
- Ranajit Guha La mort de Chandra
- Shahid Amin Le témoignage du repenti et le discours judiciaire : le cas de Chauri Chaura
- Asok Sen Subaltern Studies : Capital, Classe, Communauté
- Ajit.K. Chaudury A la recherche du Lenine subalterne
4ème de couverture :
Le 5ème volume des Subaltern Studies comprend cinq essais et deux articles de débat sur le projet subalterne. Dans son étude sur les bhîls et les shahukars de l’est du Gujarat, David Hardiman analyse les relations économiques étroites qui existaient entre ces deux communautés. L’essai de David Arnold sur la peste indienne de 1896-1900 montre les interactions complexes entre coercition et co-opération, résistance et hégémonie, classe et race, dans le contexte colonial. Gayatri Spivak traduit et interprète radicalement une histoire Bengalie de Mahasweta Devi. Les deux articles de Ranajit Guha et de Shahid Amin, portant sur deux contextes bien différents, montrent que la fonction du discours judiciaire est de piéger et de définir certains événements comme « crime » en réduisant leur large spectre de signification à une étroite définition légale.
Ranajit Guha, Canberra Février 1987
David Hardiman Les bhîls et les shahukars de l’est du Gujarat
« Tant que la terre était librement disponible, les bhîls disposaient d’une arme potentielle contre l’exploitation excessive par les shahukars : ils pouvaient immigrer. Néanmoins, il est clair à partir de témoignages du 19ème, que ce n’était pas une arme utilisée à la légère. Pour qu’un Bhîl puisse cultiver d’une manière satisfaisante, il fallait qu’il puisse emprunter et l’aptitude à emprunter dépendait d’une relation au long cours avec un shahukar. Dans cette mesure, les Bhîls étaient rivés à leur village par la dette. Mais cet dépendance par la dette ne signifiait pas qu’ils étaient exploités comme des travailleurs asservis. Cette dernière situation concernait des adivasi ou des membres de basse caste, forcés de travailler comme esclaves rituels pour des maîtres, auprès de qui ils avaient emprunté pour payer leur mariage ou d’autres dépenses. Un tel système était inconnu (chez les Bhîls), car, par principe, les agriculteurs-prêteurs ne vivaient pas dans le village. (…) Le shahukar était une figure distante. Cela permet d’expliquer la relative absence d’animosité des bhîls vis à vis des shahukars en tant que classe. » (p14)
« Dans la société égalitaire des bhîls, il était considéré comme inapproprié qu’un bhîl soit substantiellement plus riche matériellement qu’un autre. L’honneur résidait dans la volonté de partager; thésauriser au-delà d’un certain seuil était considéré comme répréhensible. Par exemple quand l’alcool était distillé, tous les voisins étaient invités à venir partager ; aucun Bhîl n’aurait rêvé de boire seul. T.B.Naik, dans son livre sur les bhîls, montre comment ce principe touchait tous les aspects de la vie bhîl. L’accumulation d’une fortune personnelle était même considérée comme dangereuse, puisqu’il y existait une superstition courante selon laquelle les pensées et regards envieux de ses voisins pauvres pouvaient avoir des conséquences diaboliques sur l’individu fortuné. L’ensemble de l’attitude bhîl vis a vis de l’accumulation peut être résumée par leur proverbe : « Quoique tu dépenses sera bénéfique, quoique tu accumuleras, puera. »
Un tel partage aidait à renforcer la solidarité communautaire des bhîls. C’était le plus visible lors des festivités, quand la consommation se déroulait sou la forme d’un gaspillage délibéré et joyeux. En dansant, buvant et mangeant ensemble, les bhîls exprimaient à travers leurs actions leur rejet des valeurs puritaines des classes marchandes tout en soulignant leur camaraderie et leur identité de Bhîl. Être un Bhîl, c’était partager une culture riche et une pauvreté commune. » (p24)
David Arnold Toucher le corps : perspectives sur la peste Indienne 1896-1900
« La peste dramatisa l’importance du corps – le corps du colonisé – comme lieu de conflit entre le pouvoir colonial et la politique indigène. Pendant la première phase de l’épidémie, le corps avait une signification médicale, administrative et sociale spécifique : une grande partie de la dynamique interventionniste de l’État visait à son arrestation et son contrôle, dans la même mesure où la résistance aux mesures anti-peste s’organisait autour d’évasions physiques ou de dissimulations. Le corps, néanmoins, symbolisait aussi plus profondément un champ étendu et persistant d’affrontement entre les perceptions, pratiques et inquiétudes coloniales et indigènes. L’exercice du pouvoir britannique abordait le corps indien de moult manières. Et, comme l’ont montré les premières années de la peste, la problématique n’était pas seulement celle d’une politique de division coloniale. Cela impliquait aussi l’affirmation grandissante de l’hégémonie de la classe moyenne sur la masse de la population et les réponses équivoques – pour partie de la résistance, pour partie de l’émulation- que de telles aspirations hégémoniques provoquaient parmi les classes subalternes. » (p56-57)
« La phase initiale des mesures anti-peste démontrèrent la force et l’opportunisme politique de l’État colonial et sa volonté de mettre le pouvoir d’État à la disposition de la médecine occidentale. De la puissance de la réaction indienne résulta une réaffirmation des priorités politiques par rapport aux priorités sanitaires et le passage à une politique d’accommodement, cherchant prioritairement à gagner le soutien et la co-opération des classes moyennes. La coercition fut tempérée de consentement. La résistance subalterne joua un rôle important pour arracher ces concessions à l’État colonial, mais c’est l’hégémonie de la classe moyenne qui en fut la principale bénéficiaire. Tandis que le conflit initial sur l’administration de la peste ouvrit une division raciale et politique significative entre dominants et dominés, elle révéla aussi l’importance d’un ascendant des classes moyennes sur les masses s’affirmant de plus en plus. A court terme, les classes subalternes dans les villes et les campagnes tendaient à regarder avec suspicion les classes moyennes, vues comme des alliés des britanniques. A long terme, néanmoins, l’émulation des hautes classes et classes moyennes, fut un facteur significatif de persuasion du « menu peuple » de surmonter ses doutes au sujet de la médecine occidentale et de montrer une plus grand consentement aux hôpitaux et à la vaccination que pendant les premières années de la peste. » (p90)
Gayatri Chakravorty Spivak Une représentation littéraire du subalterne : le « Stanadayini » de Mahasweta Devi
Cet article a été traduit dans L’historiographie Indienne en débat sous la direction de Mamadou Diouf. Éditions Khartala-Sephis (Ouvrage toujours disponible).
Ranajit Guha La mort de Chandra
« Chandra a été tuée par l’acte même qui visait à la sauver d’une « mort vivante » dans un ghetto de rebuts sociaux. Mais comme dans toutes les tragédies, le triomphe du destin aide à élever plutôt que diminuer la dignité humaine -la dignité du choix des femmes de mettre fin à la grossesse et leur détermination à agir dans ce sens. Les contradictions par lesquelles elles passèrent pour arriver à ce choix donnent la mesure à la fois de sa gravité et de sa complexité. Elles ne pouvaient pas défier l’autorité du samaj (Société religieuse hindou) au point de permettre à une veuve avec un bébé né hors mariage de vivre honorablement dans la société locale. Il faudra beaucoup de temps avant qu’une telle chose soit possible dans le Bengale rural. Historiquement l’avortement était de ce fait, le seul moyen à leur disposition pour vaincre une moralité effectivement absurde qui rendait la mère seule coupable de la naissance illicite, la jetait en dehors de la société et permettait au père de s’en sortir sans encombres. (..) Pour les femmes qui s’étaient réunis autour de Chandra dans cette crise, la destruction du fœtus était un stratégie désespérée mais consciemment adoptée pour prévenir la destruction d’une autre femme, pour lutter pour son droit de vivre honorablement dans sa société. » (p161-162)
« C’est la connaissance de la mauvaise foi des hommes qui rend la femme plus avisée quant aux limites de la solidarité qui se prétend neutre quant au genre. Le monde global et unitaire de la parenté ne peut plus jamais être le même pour elle. « Souillée et humiliée » elle a recours à une solidarité alternative-une solidarité de femmes. Ce n’est pas une révolte ouverte avec trompettes et bannières, mais elle est néanmoins suffisamment visible et bruyante dans une société où l’initiative et la parole sont données à l’homme seulement. Car quand une victime, quoique timide, commence à se regarder comme étant l’objet d’une injustice, elle critique d’ores et déjà le système qui la victimise. Et toute action qui découle de cette critique contient les éléments d’une pratique de résistance. » (p165)
Ce texte sera traduit dans une anthologie à paraître en 2019 aux Éditions de l’Asymétrie.
Shahid Amin Le témoignage du repenti et le discours judiciaire : le cas de Chauri Chaura
Traduit dans l’anthologie publiée par nos soins.
DISCUSSION
Asok Sen Subaltern Studies : Capital, Classe, Communauté
Traduit dans l’anthologie publiée par nos soins.
Ajit.K. Chaudury A la recherche du Lenine subalterne
« Cet essai se confronte à un silence dans les Subaltern Studies : Lenine. Le concept léniniste de conscience et particulièrement de conscience socialiste – dans la théorie de Lenine, celle-ci est amené de l’extérieur à la classe ouvrière- a été l’objet de débats depuis qu’il a été développé. Le concept de l’extériorité a souvent été mis en question et le but de cet essai est de situer l’extérieur dans la paradigme marxiste comme un concept théorique. La littérature existante voit, à mon avis à tort, l’extérieur comme une catégorie empirique, et de ce fait transforme celui qui est à l’extérieur,et donc Lenine, comme une expression de la politique de l’élite. Lenine ironiquement doit être réhabilité au sein du marxisme. » (p236)
« Les Subaltern Studies se concentre sur la conscience des classes subalternes, spécifiquement des paysans. L’analyse s’intéresse donc aux sociétés pré-capitalistes, dans lesquelles la structure dominante est politique, avec des rapports intrinsèquement organisé autour de la domination/subordination- le concept clé du modèle subalterne. L’accent est mis dans la discussion sur la conscience subalterne telle qu’elle se reflète dans une période de révolte. Le principal intérêt des Subaltern Studies est donc l’analyse de la conscience subalterne dans sa forme pure, non obérée par les interférences extérieures des partis politiques organisés. Les Subaltern Studies se concentrent sur les formations sociales à la base et non au niveau du parti. Donc, la conscience subalterne est distincte du concept de Lenine de conscience attribuée – apportée de l’extérieur à la classe ouvrière. » (p237)