Communauté, Genre et Violence
édité par Partha Chatterjee et Pradeep Jeganathan
Columbia University Press, New-York 2000
- Aamir R. Mufti Un plus grand nouvelliste que Dieu : Genre littéraire, Genre et minorité dans l’Inde coloniale tardive
- Pradeep Jeganathan Un place pour la violence : Anthropologie, politique et localisation de la pratique Sinhala de la masculinité
- Nivedita Menon Incarner le moi : le féminisme, la violence sexuelle et la loi
- Flavia Agnes Les femmes, le mariage et la subordination des droits
- Tejaswini Niranjana Le nationalisme reconfiguré : le cinéma contemporain d’Inde du Sud et le sujet du féminisme
- Satish Deshpande Stratégies spatiales hégémoniques : l’espace de la nation et le communalisme hindou dans l’Inde du 20ème siècle
- Qadri Ismail Constituer la nation, contester le nationalisme : les femmes du Tamil Nadu et le nationalisme séparatiste tamoul au Sri Lanka
- David Scott La tolérance et les traditions historiques de la différence
- Gayatri Chakravorty Spivak Discussion : Une postface sur le nouveau subalterne
4ème de couverture :
« Dans leur première phase, les Subaltern Studies ont traités de façon extensive de la communauté et la violence dans le contexte des soulèvements paysans. Une fois que le problème de l’implication de la paysannerie dans la politique moderne de la nation a été posé, des complexités dans ce rapport ont commencé à émerger. Une nouvelle dimension a été introduite quand la relation entre communauté, genre et violence a commencé à être prise au sérieux. Ce volume se penche sur un ensemble entier de nouveaux problèmes soulevés par les rapports entre communauté, genre et les politiques de la violence.
Une série d’essais étudie spécifiquement la question de la « femme et de la nation », particulièrement chez les minorités. Quadri Ismail examine les revendications du nationalisme tamoul du point de vue des femmes du Tamil Nadu. Aamar Mufti étudie la désormais familière figure genrée de « la nation comme mère » – mais d’un point de vue nouveau, celui des minorités rejetées, comme les prostituées brutalisées. Tejaswini Niranjana étudie la « nouvelle femme » dans le cinéma indien contemporain.
Une autre série d’essais étudie les femmes et les minorités dans le contexte juridique. Flavia Agnes examine les histoires coloniales et nationalistes de la loi hindoue sur le mariage et la propriété des femmes. Nivedita Menon recense de façon critique les débats indiens sur les lois contre la violence sexuelle faite aux femmes. David Scott interroge, avec un œil sur la situation Sri-Lankaise, le concept de droits des minorités dans les théories modernes de la citoyenneté.
Le problème de la violence politique est abordé par Satish Deshpande dans son étude de l’espace imaginé au sein duquel la nouvelle droite hindoue cherche a affirmer sa domination, et par Pradeep Jeganathan dans son étude de la violence dans la culture quotidienne de la masculinité.
Dans un résumé des enjeux soulevés par l’ensemble du volume, Gayatri Chakravorty Spivak, considère la position du nouveau subalterne – la femme travailleuse du Tiers-Monde – au sein d’un espace économique globalisé. »
Aamir R. Mufti Un plus grand nouvelliste que Dieu : Genre littéraire, Genre et minorité dans l’Inde coloniale tardive
« Nombre d’études importantes ont, ces dernières années, examiné de façon critique la sémiotique et la sociologie genrée de la formation de l’identité nationaliste dans l’Inde coloniale, mais ces analyses se sont pour la plupart confinées à l’utilisation (et l’instabilité) du signifiant « mère ». Je vais essayer ici de continuer cette exploration dans une direction différente. J’avance que, localiser la « mère » au sein d’un large champ de significations contestées et conflictuelles de l’espace national, doit mener nécessairement à cette autre projection, qui sert de médiateur entre l’économie du sexe et des identifications de genre et les vicissitudes de l’appartenance collective : la courtisane ou la prostituée. Afin de comprendre la nature de la maison qui se tient sous le signe de la mère, nous devons examiner minutieusement les habitants de cet autre espace genré, le bordel. Si la figure domestiquée et dé-sexualisée de la mère devient un moment critique dans l’interpellation du sujet (mâle) comme sujet national, alors le trouble que le « musulman » représente pour le discours nationaliste est énoncé au travers de la figure excessive et indécemment sexuelle de la prostituée. J’avance ici que dans les histoires de Manto (Saadat Hasan Manto 1912-1955 fameux nouvelliste indo-pakistanais dont beaucoup d’écrits se déroulent dans les bas fonds), le bordel et ses habitants acquièrent une énergie critique qui rend visible le travail représentatif de la nation. Ses histoires suggèrent les possibilités d’une appartenance nationale en termes de formes d’amour non subsumables sous le discours de la piété et de la dévotion filiale. » (p5)
Pradeep Jeganathan Un place pour la violence : Anthropologie, politique et localisation de la pratique Sinhala de la masculinité
«(…) il n’y a pas d’espace adéquat pour la violence dans la littérature anthropologique. Pourquoi ? Pourquoi la violence, à la fois celle qui est quotidienne et celle qui est exceptionnelle, est-elle anthropologisée comme une irruption et une explosion ? Je vais aborder sérieusement cette question en tentant de construire un espace pour la violence, à la fois anthropologique et ethnographique, analytique et descriptif. En d’autres termes, je vais prendre cette absence ou ce manque de « place pour la violence » dans la littérature antérieure comme l’origine productive de mon propre contre-effort. En faisant cela, j’espère non seulement produire une nouvelle connaissance de la violence, mais aussi peut-être de la nature des objets anthropologiques. » (p42)
Nivedita Menon Incarner le moi : le féminisme, la violence sexuelle et la loi
« L’universalité de l’expérience, par les femmes, de la violence sexuelle a toujours fourni un point d’entrée immédiat pour l’intervention féministe. Quelle que soit l’analyse du patriarcat et de sa relation à la classe, la caste, la communauté ou la race, les politiques féministes de toutes les nuances sont capables de reconnaître les violences sexuelles – vécues de différentes manières et à divers degrés – comme une part intrinsèque de la vie des femmes. Quels sont les codes qui nous permettent un reconnaissance aussi immédiate de la « sexualité » et de la « violence sexuelle » ? Sont-ils effectivement si universellement reconnus par toutes les cultures et par toutes les femmes ? Et cette reconnaissance est-elle quelque chose qui rend possible les politiques féministes ou est-ce qu’elle limite paradoxalement les possibilités de transformation féministe ? Ces questions deviennent encore plus critiques quand on cherche à rendre la violence sexuelle intelligibles en termes juridiques, comme une culmination logique de l’intervention féministe dans ce domaine.
Dans la dernière décennie en particulier, le mouvement des femmes en Inde a réagi à toutes les événements de violence contre les femmes en demandant une action législative. Ces efforts ont été couronnées de succès dans la mesure ou chaque campagne de 1980 à 1989 a débouché sur des changements législatifs. Toutefois, comme l’ont souligné des activistes féministes, non seulement l’application des lois est restée partielle et conservatrice, mais, comme ces changements ont impliqués la mise en place de punitions plus sévères, il y a eu, dans les cas de viol, moins de mises en accusation qu’auparavant. Et dans le même temps, chaque nouvelle loi donne plus de pouvoir à la machinerie étatique. Cette situation a mené à une remise en cause de l’efficacité de la loi et une plus grande attention dans le mouvement des femmes au fait que non seulement les lois devraient être formulées avec plus de soins mais aussi que les changements juridiques ne peuvent pas transformer les structures de pouvoir patriarcales de la société. » (p66-67)
Flavia Agnes Les femmes, le mariage et la subordination des droits
« Ces législations pénales, acclamées et largement publicisées, étaient présentées comme permettant à la femme indienne d’échapper à la barbarie du système indigène et comme la conduisant à la modernité. Une idée populaire prévaut – qu’en incorporant ces concepts de modernité dans la jurisprudence indigène, le statut de la femme en Inde a été amélioré. L’accent excessif mis sur l’effet bénéfique de ces législations a servi a justifier la domination coloniale et sa mission modernisatrice en présentant les systèmes indigènes comme barbare et pré-moderne.
L’intervention britannique ne s’arrêta pas au niveau de la législation pénale. Il s’étendit à deux autres sphères qui n’ont pas reçu beaucoup d’attention. Un ensemble de législations dégagèrent un espace pour les droits propriétés individuels des hommes dans un système basé sur la propriété familiale commune et les affiliations de caste rigides d’une société agraire féodale, et posa les bases pour l’introduction du mode de production capitaliste dans le cadre urbain en rendant la terre aliénable et transférable. Les réformes de la législation sur la terre d’Angleterre qui aidèrent à passer des tenures féodales au mode de production capitaliste furent aussi graduellement introduites en Inde, servant les intérêts des individus mâles. Malheureusement pour les femmes indiennes, au lieu d’une amélioration de leur droit à la propriété, le spectre de celui ci fut réduit et devint obsolète au sein du caractère changeant de la propriété- qui devint aliénable et transitoire. Ces développements semblent avoir dessiné un modèle qui est l’inverse de celui qui s’est développé pour les droits des femmes en Angleterre à la même époque. » (p120-121)
Tejaswini Niranjana Le nationalisme reconfiguré : le cinéma contemporain d’Inde du Sud et le sujet du féminisme
« Les redéfinitions de la féminité produites et mises en circulation aujourd’hui dans les films comme ceux de Mani Ratnam (Cinéaste tamoul très influent. Souvent crédité pour avoir révolutionné l’industrie du film au Tamil Nadu et par là radicalement modifié la trajectoire du cinéma indien.) nourrissent et influencent à de nombreux niveaux les débats populaires autour des questions de « modernité » et de « tradition ». Ces débats aident, il me semble, à constituer un nationalisme culturel agressif qui est en train de s’articuler à côté et dans le vocabulaire de l’économie de marché multinationale. La reconfiguration de la féminité dans le cinéma populaire est liée à l’émergence d’une nouvelle économie basée sur la consommation soutenue par le reconstruction actuellement en cours de l’imaginaire national. Tout cela est fondé sur ce que j’ai appelé l’idée d’une post-nationale-moderne, une idée qui articule au niveau de la vie quotidienne – et dans la vie des marchandises- la construction d’une modernité indienne qui a résolu ses vieilles contradictions. » (p145)
Satish Deshpande Stratégies spatiales hégémoniques : l’espace de la nation et le communalisme hindou dans l’Inde du 20ème siècle
« Dans cet essai, j’explore les stratégies spatiales impliquées par les aspirations hégémoniques du communalisme hindou en Inde. Plus spécifiquement, j’essaie d’identifier les différentes façons par lesquelles « l’Hindutva » cherche à redéfinir l’espace de la nation – c’est à dire cherche à ré-articuler le lien entre une communauté imaginée et son domaine territorial. De telles ré-articulations, visent selon moi, à détacher l’espace de la nation de ses amarres dans les idéologies alternatives afin de la relocaliser dans le cadre de l’hégémonie hindoue. » (p167)
« Il est clair que la globalisation et l’Hindutva impacte l’une sur l’autre de façon tout autant contradictoire que complémentaire (pour ne pas parler de ce qui pourrait aller au-delà de cette dichotomie), ce qui rend difficile de s’en tenir à une conception unidimensionnelle de leur implication réciproque. Un aspect important de cet impact mutuel est la globalisation de l’Hindutva elle même, c’est à dire la globalisation de ses congrégations et de ses électeurs. L’émergence de ce qui peut être appelé l’Hindutva non-résidente (particulièrement aux USA et en GB) fournit un exemple évident, qui illustre à la fois la transférabilité et l’immuabilité de son essence. Aujourd’hui, alors que le monde est témoin de plus en plus de ce type de négociations (impliquant autant de collusions que de collisions) entre les faces locales et globalisées de l’ethnicité, l’impact définitif est trop complexe à prédire. » (p211)
Qadri Ismail Constituer la nation, contester le nationalisme : les femmes du Tamil Nadu et le nationalisme séparatiste tamoul au Sri Lanka
« Le nationalisme n’est pas une idéologie (et une politique) transformatrice mais au contraire profondément conservatrice . Il promet de restaurer la communauté perdue, mais ne peut jamais tenir sa promesse ; car si il le faisait il perdrait sa raison d’être. De fait, la véritable logique du nationalisme suppose qu’il ne tienne pas ses promesses – car il ne peut pas le faire : si le nationalisme est analogue au Messie, comme réponse à tous les problèmes, difficultés et pressions que rencontrent les nationaux, alors comme Fritzman le souligne « le Messie ne reste le Messie qu’a condition de ne pas arriver. » La logique du nationalisme demande qu’il conserve, nourrisse et encourage la nostalgie et non qu’il la réfute ou l’élimine.
Résister au nationalisme requiert de résister à la nostalgie. » (p281)
David Scott La tolérance et les traditions historiques de la différence
« Je n’ai cherché, ici, qu’à clarifier de façon préliminaire, un doute quant à l’adéquation du discours libéral sur la tolérance pour la tâche de penser un au-delà de l’impasse contemporaine au Sri-Lanka. Le discours libéral, même là où il s’est penché sur les questions des droits culturels, dépend trop profondément de la priorité donnée à un certain type de sujet (privé, laïque, autonome, conscient) et à un certain type d’espace social et institutionnel (le background de l’État libéral et de la culture publique libérale). L’enjeu de la tolérance dans le Sri-Lanka contemporain, néanmoins, n’est pas de permettre le sujet individuel des droits légaux et des fins privés, mais de trouver des moyens de permettre à des communautés historiquement non-libérales d’incarner leurs traditions de différence historiquement constituées d’une manière pertinente politiquement. » (p303-304)
Gayatri Chakravorty Spivak Discussion : Une postface sur le nouveau subalterne
« A leurs débuts, les Subaltern Studies n’étaient pas influencées par la théorie féministe en tant que telle. Ce volume est immergé dans le mode féministe. C’est à partir de ce « mode » que le subalterne doit être repensé. Il/elle n’est plus coupé(e) des lignes d’accès au centre. Le centre tel qu’il est représenté par les instances de Bretton Woods et de l’OMC, s’intéresse aux subalternes ruraux et indigènes comme source de TRIP ou droits de propriété intellectuelle liés au commerce. On trouve de nombreuses voies pour générer un sujet subalterne demandant à être utilisé ainsi. La théorie marxiste décrit le mieux la façon dont cette « propriété intellectuelle » devient la base de l’exploitation dans les domaines de la bio-piraterie et de l’ingénierie du génome humain. (Dans la mesure où le plus ancien texte de la théorie subalterniste est le Rule of Property for Bengal de Ranajit Guha, on pourrait dire que la boucle est bouclée). Mais « l’agent de la production » n’est plus ici la classe ouvrière telle qu’elle était produite par le capitalisme industriel ou post-industriel. »